Forget, sans le son

 

par Alexandre Bardot, journaliste à L'Équipe

 

Edition du 03 mars 2011

 

« Qu’il ne me parle pas de mon jeu », a dit Gilles Simon en direction de Guy Forget lundi dernier dans L’Equipe. Et les gestes, il aura le droit ? On plaisante, mais à peine. Car Forget, sans les mots, ce n’est pas le Bernardo de Zorro, mais ça veut quand même dire quelque chose. Dans son « coin », il se tape dans les mains, serre le poing, tend l’index, plisse les yeux, fronce les sourcils, se lève, se penche…, et tout ça dans un seul but : « que le joueur, quand il tourne son regard vers moi, puisse prendre du positif », explique l’intéressé.

 

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Le temps des minutes et demies de repos, le capitaine de l’équipe de France a les mots pour toucher le joueur face à lui. Mais tous les discours du monde en disent bien moins long que ses postures, sa gestuelle et les mimiques de son visage.

 

Stephen Bunard a fait de l’étude du langage corporel l’une de ses professions. Le synergologue explique : « la majeure partie de l’impact en communication se fait par le visuelEt dès qu’il y a un décalage entre ce qu’on entend et ce qu’on voit, la part de l’impact du visuel augmente par rapport à celle du discours. Par exemple, même s’il dit à son joueur : c’est génial, tu vas y arriver ! Forget aura peut-être durant à peine une seconde une micro-réaction du visage qui montrera le contraire.» Et dans un sport de duel et aussi psychologique que le tennis, l’effet peut s’avérer dévastateur. Forget l’a expérimenté durant sa carrière de joueur de Coupe Davis.« C’était lors d’un double disputé avec Yannick Noah. Sur le court, on s’était regardé, on en avait souri, parce qu’on avait ressenti la même chose. Il n’y a rien de pire qu’un capitaine qui dégage de la fébrilité, du doute.»

 

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Pour éviter l’accroc, l’ancien n°4 mondial se glisse dans « un rôle d’acteur », essaie d’être « en contrôle permanent. » Quand le match tourne bien, il n’a pas à se forcer. Mais parfois, comme lors du cauchemardesque dimanche de la finale de la Coupe Davis face à la Serbie en décembre dernier, il oblige son corps à l’optimisme. Exercice presque impossible, parce que le langage corporel ne se maîtrise jamais totalement, et que les mots qu’il peut lâcher ne peuvent rien masquer ni rattraper. Guy Forget a quand même dans son sac quelques postures et gestes qui l’aident à créer un climat de confiance et à passer ses messages. Décodage.

 

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ENTRETIEN AVEC STEPHEN BUNARD, SPÉCIALISTE EN LANGAGE CORPOREL

« Il est dans la constante recherche de lien »

 

« Guy Forget a envie d’inspirer la proximité avec son joueurIl n’est pas là pour faire le chefaillon mais pour partager ou stimuler. Pendant les temps de repos, il se met au niveau de son interlocuteur, comme on le fait avec les enfants pour leur parler. Même debout, son corps tend vers ses joueurs. Il est dans le recherche de lien, de complicité, parce qu’il sait qu’il y a un effet clan, qui donne de la force au joueur. Un autre exemple, c’est quand il donne une tape sur les fesses : c’est le mâle dominant qui donne son énergie. Si l’adversaire le voit, ça peut avoir un impact sur lui : ce n’est plus 1 joueur + 1 capitaine qu’il a face à lui, c’est un groupe. Pendant les échanges, quand il oriente son corps vers le joueur, c’est encore pour lui dire : je suis sur le terrain, avec toi.Après, ça va rester difficile, au moment où le match tourne mal, de dominer son corps pour montrer qu’il y croit encore ? Quand il tape du poing dans sa main opposée, Forget le fait de la main gauche, celle de la spontanéité, de la passion. Le message est : sois fort, garde la confiance, mets de l’ardeur. Au contraire, quand il tend le doigt, il le fait avec sa main droite et ça donne une force particulière à la gestuelle perçue par le joueur. Ça veut dire : ton temps est venu, il ne faut pas te louper. » 

 

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L'Equipe  

Tag(s) : #Sport
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