DIAGONALES 73 – Janvier-Février 2010

Revue professionnelle suisse romande depuis 20 ans à destination des scientifiques, psychiatres et spécialistes de la santé mentale.


J’ai lu - J’ai aimé

par Izabella Biro


Le Langage du corps

Quels messages livrons-nous à travers nos gestes?


Se gratter sous la narine gauche, toucher sa cheville droite ou caresser son menton sont autant de gestes anodins qui pourtant cachent des significations insoupçonnées. 

Décrypter l’autre à travers son langage corporel? La perspective fascine. Philippe Turchet nous en offre les clés dans son dernier ouvrage.


Il est de nos jours établi que plus de 80% de notre communication passe par le langage non verbal. Nous faisons environ six gestes par minute en situation de communication. Une petite moue sur le visage de notre interlocuteur, et notre conversation peut se réorienter à 100%. 

Pourquoi parler au juste de langage du corps? Ce langage est en fait l’expression de nos émotions sur le corps. Il est donc universel; 90% de nos gestes ont une composante émotionnelle. Il existe bien évidemment certains gestes culturels, mais ceux-ci ne représentent qu’une infime partie, ils se comptent tout au plus par dizaines, en comparaison des milliards de combinaisons d’attitudes de type émotionnel.

Longtemps ignoré par la science, le langage du corps est en fait un fabuleux objet d’études. Le corps est en effet informé par les émotions avant la raison des événements à venir. Par exemple, en cas de danger, notre corps a déjà amorcé la fuite avant que notre cerveau ne se rende compte rationnellement de la présence d’une menace. Il est dès lors possible d’observer la partie émergée de l’intelligence émotionnelle, visuellement. 


Le langage du corps est l’expression de nos émotions.


Depuis la nuit des temps, nous décodons inconsciemment les messages corporels de nos semblables. Le langage du corps, vieux de millions d’années, est bien antérieur à l’apparition du langage verbal qui date seulement d’il y a 35 000 ans. Cette faculté est innée. Nous disposons en effet tous d’un patrimoine gestuel commun qui nous permet de nous comprendre aux quatre coins de la terre, au-delà de nos langues particulières.

En quoi l’ouvrage de Philippe Turchet améliore-t-il notre compréhension du langage du corps? L’auteur apporte une nouvelle dimension au décodage: d’inconscient et d’émotionnel, il devient conscient et rationnel. Ce décodage rationnel peut améliorer la qualité de notre communication et rendre nos échanges plus transparents.


Décoder, oui, mais…


Pour ne pas être lu à livre ouvert, l’être humain n’a de cesse de cacher ses émotions en réprimant les gestes qui peuvent le trahir. Mais tout effort de maîtrise est voué à l’échec, car les gestes comme les émotions surviennent de manière involontaire. 

Le paradoxe des émotions est que plus on cherche à les cacher, plus on les rend visibles. Il en est de même pour les gestes. Le décalage entre ce qu’on dit et ce qu’on montre finit toujours par se manifester par le biais de différentes dissymétries corporelles. 

L’auteur nous recommande donc de ne surtout jamais penser au langage corporel lorsque nous communiquons, pour que notre présence ne perde pas en qualité. Il préconise au contraire de laisser parler notre corps spontanément.


Hémisphère gauche, hémisphère droit


Philippe Turchet commence son analyse méthodique des gestes par les expressions faciales. Il apparaît d’emblée que le côté gauche de notre visage est plus «bavard» que le côté droit. L’explication de ce phénomène donne une des clés d’interprétation majeure dans notre lecture du corps: de quel côté du corps le geste est-il effectué?


Pourquoi la question de la gauche et de la droite revêt-elle une telle importance dans la lecture de nos gestes? C’est que deux hémisphères différents contrôlent les deux côtés de notre corps. Selon une logique de croisement, l’hémisphère droit régit le côté gauche de notre corps et vice versa. Or les deux hémisphères de notre cerveau n’ont pas la même fonction. 


Le cerveau droit régit l’affect, alors que le cerveau gauche régit la cognition et notamment le langage. Selon qu’elle soit émotionnelle ou cognitive, l’information va être traitée dans 98% des cas par l’hémisphère concerné.

C’est principalement face au monde extérieur que les deux hémisphères entretiennent un rapport différent. L’hémisphère droit, siège de notre monde intérieur et de notre intimité, envisage autrui du point de vue de la relation, de la proximité, de l’intérêt, de l’attention. L’hémisphère gauche jauge, scrute et traite l’information du monde extérieur rationnellement. Contrairement à l’hémisphère droit, il n’est pas dans le lien mais bien dans la mise à distance. 

Pour toutes ces raisons, Il n’est pas étonnant que ce soit le côté gauche du visage et de notre corps qui soit le plus actif, car nous sommes davantage confrontés dans nos vies à un environnement familier plutôt qu’étranger. Il n’est donc pas étonnant non plus que davantage de valeurs positives soient associées à la partie gauche du visage et du corps, car celle-ci relève de l’hémisphère de l’affect.

L’ouverture qui se lit sur un visage témoigne de ce phénomène. Les visages présentent en effet des asymétries lorsque le sujet est ému. Le côté du visage gauche aura tendance à s’ouvrir davantage lorsque sa relation avec l’autre lui renvoie des émotions positives. Le contexte sera alors la détente. Si l’émotion provoquée par autrui est négative, le côté droit du corps sera plus ouvert traduisant un état de vigilance, une mise à distance, une fermeture, un rejet. Le contexte sera alors un malaise ou un conflit.

Toutefois, il ne faut pas conclure que tout geste émanant du côté gauche est positif, que tout ce qui est visible sur la droite est négatif. Par exemple, en situation de grand stress, les valeurs positives et négatives prêtées à l’ouverture des visages s’inversent. 


Mouvements des yeux


La direction du regard intervient également dans un autre domaine: le rapport au temps. Lorsqu’on pense au passé, le regard se dirige vers la gauche. Le regard part vers la droite lorsqu’on pense à l’avenir. Par extension, le côté gauche du passé peut être relié à la vérité. Celui qui concerne le futur est assimilé au mensonge. Détenir cette connaissance peut être d’une grande utilité dans le cadre d’un interrogatoire de police, par exemple.

Mais le phénomène a connu un rebondissement lorsque des chercheurs ont constaté que chez les peuples qui écrivent de droite à gauche, comme les Arabes ou les Israéliens, la direction du regard, selon la règle décrite ci-dessus, était inversée. Ils se sont donc naturellement tournés vers les peuples sans écriture. Ceux-ci présentent le schéma qui place le siège du monde intérieur dans l’hémisphère droit.

L’exception présentée par les peuples qui écrivent de droite à gauche prouve qu’un fait culturel peut modifier le patrimoine gestuel. Ce qui incite à faire preuve d’une grande prudence dans la lecture des gestes.


Symbolique du corps


Après les expressions faciales, Philippe Turchet aborde le langage de la main sur le corps. La main ne se pose jamais au hasard sur le visage ou sur le corps. Chaque partie du corps est spécialisée dans un type d’émotion particulier. L’autre grande clé d’interprétation qui prévaut dans la lecture des gestes est donc celle de la symbolique du corps. Cette nouvelle clé n’oblitère en rien celle de l’interprétation gauche/droite dont l’importance reste centrale.


Un fait culturel peut modifier le patrimoine gestuel. 


Citons quelques exemples de cette symbolique, sur le visage d’abord: l’aile du nez représente notre image extérieure; tout près de cette zone se trouve, sous les narines, l’aire du mensonge. A la place de la moustache, c’est l’autorité qui est en jeu… Au niveau du corps, on peut évoquer le sternum, siège de notre ego; le ventre se rapporte à la possession; les trapèzes portent le poids de nos responsabilités; les aisselles concernent l’impuissance face à l’action… 

Prenons la zone du mensonge, qui se trouve sous les narines: lorsqu’une personne a une démangeaison sous la narine gauche, elle ment. Mais si c’est sous la narine droite, c’est que la personne pense que son interlocuteur ment. Pour ce genre de gestes, la gauche ou la droite représentent un changement de perspective sur le même acte symbolique, en l’occurrence le mensonge: la gauche concerne le locuteur, la droite concerne l’interlocuteur.

Le corps présente en outre une dimension supplémentaire à la bipartition gauche/droite, il possède également une face avant et arrière. Ainsi une même zone symbolique peut parfois s’interpréter de quatre manières différentes. 

Prenons l’exemple de la tête: si quelqu’un se frotte le front à gauche, il est obnubilé par des problèmes personnels; s’il se frotte le front à droite, le problème concerne la compréhension; lorsqu’il se frotte l’arrière gauche de la tête, il cherche à contourner un problème et, enfin, s’il gratte l’arrière droit de sa tête, il est dans une impasse. 

Philippe Turchet compare le décodage du langage du corps à la conduite automobile. Son ouvrage est donc conçu comme un code de la route. Chaque situation gestuelle qu’il décrit est systématiquement étayée par une séquence d’images. Une immersion dans le langage du corps.


Petits gestes

Les mains se posent sur le corps de plusieurs manières, reflétant trois dispositions d’esprit différentes:

- Les microdémangeaisons sont l’expression de nos de contradictions internes; 

- Les microcaresses attirent le regard sur soi;

- Les microfixations représentent un moment de retour sur soi.

 

source : www.graap.ch

Tag(s) : #Neurosciences
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